La prise en compte de la condition animale est une évolution normale de la société”
« Jugée hier avec condescendance, notre sollicitude pour les animaux est devenue une question sociétale bien vivace qu’on ne peut plus ignorer. […] Le temps est venu de penser et d’instituer d’autres rapports avec eux », écrivent vingt-trois philosophes, historiens, éthologues, neurologues, biologistes, juristes, tous signataires d’un appel à la création d’un secrétariat d’Etat à la condition animale, adressé au Premier ministre Manuel Valls. Entretien avec la journaliste et essayiste Karine Lou Matignon, cosignataire de l’appel et directrice de l’ouvrage collectif Révolutions animales (1), qui sort en librairie ce 19 octobre 2016.
Pourquoi pensez-vous nécessaire de créer un secrétariat d’Etat à la condition animale ?
Parce qu’il y a un décalage considérable entre le savoir scientifique et la condition des animaux dans notre société. La science les considère aujourd’hui comme des « personnes non humaines », c’est-à-dire des êtres qui, pour la plupart, sont conscients et autonomes, développent des relations sociales…
Mais dans le droit ce sont des biens consommables, des marchandises, des outils. Il est nécessaire que les problématiques concernant les animaux soient confiées à des experts qui maîtrisent le sujet et travaillent en toute indépendance des ministères de la Recherche et de l’Agriculture, deux domaines où les animaux sont exploités.
Plus précisément, quel serait le rôle de ce secrétariat d’Etat ?
Faire en sorte que les évolutions scientifiques soient vraiment prises en compte dans les champs éducatifs, politiques, économiques… Il faut repenser la place de l’animal dans l’éducation, par exemple rattraper le retard pris sur les pays anglo-saxons qui à l’université prennent beaucoup plus au sérieux le droit animalier. Il faut également allouer des fonds conséquents à la recherche sur les méthodes alternatives à l’expérimentation animale.
Comme il est grand temps de se soucier réellement de la façon dont les animaux que l’on mange sont élevés et abattus, reconsidérer les normes de bien-être dans les élevages. D’évidence, il n’y a aujourd’hui pas assez de personnel pour contrôler et sanctionner. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’encore une fois, l’animal n’est pas pris en considération.
Pourtant les lignes bougent, une sensibilité nouvelle émerge sur la question animale…
Oui, les nouvelles générations sont sensibilisées à cette question animale, comme nous l’avons été à la question écologique. Leur rapport à la nourriture change, en témoigne l’engouement pour le végétarisme, voire le véganisme. Et honnêtement, je ne comprends pas que l’on s’en étonne : la prise en compte de la condition animale est une évolution normale de la société.
Chaque semaine, de nouvelles études scientifiques confirment de façon incontestable que les animaux ne sont pas des mécaniques et des outils. Il y a encore quelques années, ce type de considérations étaient réservées aux grand singes. Peu à peu le champ s’élargit, jusqu’à certains poissons et oiseaux dotés de compétences extraordinaires et de la capacité de souffrir. C’est d’ailleurs ce que montre Révolutions animales, un ouvrage qui rassemble des contributions de la plupart des spécialistes signant l’appel à la création de ce secrétariat d’Etat.